Un nouveau départ



Un nouveau quartier, c'est plein de magie, de nouvelles têtes, de nouvelles odeurs, une nouvelle lumière à explorer pour sa peinture. Quelle chance, de pouvoir tout recommencer à chaque fois !

Sur le plan pratique, c'était moins simple. Il fallait renoncer aux anciennes habitudes. Ainsi, pour l'eau, par exemple, c'était beaucoup plus compliqué. Elle devrait apprendre à se passer de l'eau courante. Tant pis, à la guerre comme à la guerre, elle fournirait les pinces à linge aux visiteurs. L'essentiel était de peindre, toujours plus, et de ne jamais renoncer.

Décidément, que de bonnes résolutions ! Elle s'était connue plus défaitiste, et ce bel enthousiasme naissant lui faisait chaud au coeur.

Elle s'accorda une pause, en profita pour éplucher soigneusement une orange dont elle savoura les quartiers avec délectation, puis résolut enfin d'appeler Marianne qui devait être morte d'inquiétude. Marianne ! Marianne et sa maison, si bien rangée, si rassurante.

Finalement, contre toute attente, Marianne lui manquait, et la peinture ne suffirait peut-être pas à combler l'absence de son amie. Que de délices avaient-elles vécus ensemble ! Elle ébaucha un sourire mélancolique avant de se reprendre.

Bien, où avait-elle pu poser ce satané téléphone ? Elle ne parvenait pas à mettre la main dessus. Elle ne l'avait quand même pas laissé dans le train ? Finalement, elle le trouva, composa le numéro de son amie, et compta les sonneries. Marianne décrocha au bout de la troisième. Elle avait la voix enrouée. Véronique l'imaginait, perdue dans les volutes de fumée, mâchonnant son stylo, pensive, comme d'habitude.

Enfin, Véronique se décida à parler. Elle constata qu'elle avait, elle aussi, la voix rauque, bien qu'elle ne fume pas. Peut-être l'enrouement de Marianne n'était-il donc pas imputable uniquement à la fumée ? Quelle enfant faisait-elle à espérer ainsi ! Il fallait qu'elle se contrôle davantage, et qu'elle garde ses émotions pour son art. Après tout, c'est lui qu'elle avait choisi au détriment de son amie.

Toutes ces réflexions agitaient son esprit, et elle constata qu'elle n'avait plus tellement envie de parler à Marianne. Enfin, le ciel s'éclaircissait, et un jour nouveau commençait à poindre.

Ayant terminé son orange, elle essuya soigneusement son couteau, puis après avoir quand même échangé quelques banalités avec Marianne, elle mit un terme à la conversation, rangea quelques papiers, et se mit enfin à travailler.

Tout d'abord, il lui fallait installer son nouvel atelier, pour profiter pleinement de la splendide lumière qui l'inondait. La faim commençait à la tenailler. N'y tenant plus, elle se mit à inspecter le contenu du placard, à la recherche d'une quelconque nourriture.

Tout ce qu'elle put dénicher fut une minuscule boîte d'escargots en conserve, sans doute oubliée par les locataires précédents. Tant pis, il faudrait s'en contenter, cela ne suffirait pas à entacher son nouvel optimisme. Elle s'assit sur le matelas posé à même le sol, ôta le couvercle, et mangea le contenu avec les doigts. En fait, ce n'était pas si mauvais.

« Je ne sais pas », telle avait été la réponse de Marianne lorsqu'elle lui avait demandé quand elle serait disponible pour la rencontrer. Cela la rendait quand même un peu amère. Marianne ne semblait pas franchement pressée de la revoir…

Elle se lava les mains dans une bassine, rangea à nouveau diverses bricoles, installa plusieurs toiles sur les chevalets adéquats, prépara peintures et pinceaux, et s'attela enfin à sa nouvelle oeuvre.

Il s'agissait d'un tableau onirique, aux couleurs flamboyantes, difficile à décrire. Mais quelle importance, après tout ? Le principal, pour l'instant, n'était-il pas de se libérer ? pensa-t-elle, mesurant bien l'emprise que Marianne exerçait encore sur elle.

Le téléphone sonna. « Le congre », c'était le surnom de sa mère, avait encore frappé. Elle seule pouvait l'appeler à une heure pareille. Elle soupira, prit son courage à deux mains encore tachées de peinture, dénicha l'appareil, et souleva le combiné. Elle se racla la gorge, s'adressa intérieurement quelques paroles d'encouragement, puis finit par prononcer classiquement « Allô ! ».

Effectivement, sa mère était au bout du fil. Elle déversa spontanément un flot de paroles et de sons divers.

Cela ne veut rien dire, pensa Véronique, mais elle ne laissa rien paraître de sa contrariété, et s'efforça péniblement de calmer sa mère, au moyen de quelques questions embarrassantes. Elle l'avait bien cherché, sa mère, à l'évidence ! Désormais, la page était tournée, il n'y avait plus à revenir dessus.

Au bout d'un quart d'heure, après avoir quand même plus subi cette conversation qu'y avoir réellement participé, elle put enfin raccrocher. Elle débrancha la prise téléphonique, fermement résolue à ne plus subir aucune interruption, remit sur son stylo le capuchon qui traînait par terre, prit une profonde inspiration, et se remit au travail.

Ses sentiments avaient changé en l'espace de quelques instants, et elle n'était plus attirée par les mêmes couleurs.

Elle mit un violent coup de pied dans le chevalet, renversa les pots de peinture sur le sol, et partit à la recherche d'une serpillière.

Déjà toutes ces taches ! Et dire qu'elle n'habitait là que depuis ce matin ! En quoi allait-elle transformer son loft ? Bon, il ne fallait pas se laisser gagner par le découragement. Elle se concentra sur son travail et retrouva sa belle énergie.

Un nouveau départ, fin de l'histoire….

Le 17 octobre 2002